FIG 2017 : Etude gamifiée d’un projet de développement du littoral normand : le Village des Marques à Honfleur Littoral : un jeu de « coopétition » interlycée. Du projet à la mise en oeuvre


Mettre en relation des lycéens de 2nde de deux lycées distincts et distants, en classe entière (soit 35 élèves), simultanément, en utilisant des outils numériques collaboratifs, pour jouer et travailler sur les littoraux, tel est le défi pas très raisonnable que nous nous sommes lancés Nathalie Verstraete, professeure au Lycée J.Prévert de Pont Audemer et Denis Sestier professeur au lycée Malherbe de Caen.

Le thème 4 du programme de géographie en seconde générale et technologique « Gérer les espaces terrestres » invite à étudier deux questions parmi les trois proposées dont celle sur « Les littoraux, espaces convoités ». La séquence présentée ci-dessous s’appuie sur l’étude de l’aménagement d’un village des marques au pied du Pont de Normandie.
Ce scénario pédagogique a pour objectif de répondre à la problématique suivante : « Dans quelles mesures les littoraux, à la fois « Terre des Hommes et terre des animaux », suscitent-t-ils des conflits d’usages entre différents acteurs ? »

Objectifs méthodologiques
Maîtriser des repères spatiaux
Exploiter et confronter des informations
Utiliser différents langages (schéma, carte mentale, composition) pour répondre à une problématique
Participer à une production collective

Cadre de référence des compétences numériques
Lire et traiter des informations sur un support numérique
Utiliser différents outils ou services de communication numérique
Respecter les principales règles de civilité et le droit des personnes lors des interactions en ligne
Utiliser un dispositif d’écriture collaborative adapté à un projet afin de partager des idées et de coproduire des contenus

Nous avons choisi de travailler cette thématique en faisant collaborer à distance deux classes normandes éloignées d’environ 75 kilomètres de part et d’autre d’Honfleur, Il s’agit donc de confronter les espaces vécus des élèves pour leur permettre d’élargir leurs représentations du littoral normand et comprendre les enjeux d’un projet d’aménagement qui concerne leur quotidien. Dans cette optique, le jeu nous a semblé être un média adapté pour faciliter les échanges entre élèves qui ne se connaissaient pas auparavant.
Cette activité, très expérimentale il faut bien le dire, a nécessité on s’en doute un très important travail de coordination, de cadrage et de préparation des documents destinés aux élèves. En effet, il existe très peu d’exemples de situation de jeux utilisant des outils numériques (en dehors des jeux numériques spécialement créés pour un usage en réseau) et opposant des classes d’établissements distants. Il s’agit d’une forme très peu répandue de serious game situé entre le jeu papier-crayon et le jeu vidéo. C’est, si l’on veut le catégoriser, un jeu papier-crayon-clavier. [1]
Faire jouer une classe suppose d’avoir le goût du risque et de maîtriser un minimum les fondamentaux de la gestion de classe et de l’animation du jeu en grand groupe [2] . Par ailleurs, organiser une séance en classe entière en espérant que le réseau de l’établissement va être opérationnel pendant 2 heures relève dans certains cas du pari hautement spéculatif.
Mais faire jouer deux classes distantes, en simultané, avec des outils numériques et en tablant nécessairement sur une grande autonomie des élèves est une opération de haute voltige !
Les conditions matérielles, notamment la fiabilité, questions toujours sensibles lorsqu’il s’agit d’activités utilisant des supports numériques sont ici d’une importance cruciale. L’autre point à soigner tout particulièrement est celui des consignes. Il est indispensable que les élèves puissent comprendre rapidement de quoi il retourne pour ainsi rentrer sans tarder dans la tâche et en interaction avec leurs camarades du lycée associé. Il était, du fait de la nature même du jeu, capital que les élèves puissent jouer en groupes de la manière la plus autonome possible.

Déroulé de la séquence test

Lors de la première séance, chaque classe consulte séparément et exploite un corpus documentaire publié sur Padlet. Il s’agit d’un mur collaboratif virtuel que les enseignants des deux classes ont alimenté auparavant de ressources variées présentant le village des marques en construction. Dans un second temps, les deux classes se rencontrent à distance sur une séance commune et jouent à une version numérique de « Littoral » adaptée au territoire normand et au contexte de la collaboration à distance. Pour terminer le chapitre, la mise en perspective permet de répondre séparément à la problématique.

Retour d’expérience 2016-2017

Les trois jeux étaient simples dans leur architecture générale mais, pour deux d’entre eux, un peu complexes à mettre en œuvre en autonomie et dans un contexte de collaboration à distance. Ils nécessitaient en outre une maîtrise de l’outil de cartographie Google que nous n’avions pas suffisamment anticipée, faute de temps notamment en amont de la séance de jeux.
Le maniement des outils de communication entre les élèves, créés avec les outils Google et Framapad, n’a en revanche pas été un obstacle.
La première partie du travail, en classe et sans interaction entre les lycées n’a pas posé de problème particulier. Il s’agit en fait de séances assez classiques utilisant des tablettes ou des ordinateurs pour prélever des informations utiles à la préparation du jeu (préparation de questions-réponses et schéma d’explication de l’implantation du village des marques). Au contraire la perspective du jeu à distance a plutôt motivé et mobilisé les élèves.
La difficulté s’est plutôt concentrée sur l’activité cartographique : les élèves ont rencontré des difficultés à se repérer sur le schéma et donc à localiser le village des marques.

Schéma d'organisation spatiale réalisé par des élèves (photo prise avant correction)

Légende du schéma réalisée par des élèves (photo prise avant correction)

La séance de jeu (2 heures un mercredi matin en toute fin d’année) a en revanche généré un certain nombre de difficultés qu’il convient d’analyser afin de tirer les enseignements qui nous permettront de dégager des pistes d’amélioration pour un deuxième test en 2017-2018.

Les apports du numérique dans les apprentissages
Cette séquence, la dernière de l’année de seconde, permet de faire le point sur un certain nombre de démarches mises en place tout au long de l’année grâce à l’utilisation d’outils et ressources numériques ainsi que sur les acquis méthodologiques..
Tout d’abord, ces jeux, dont une grande partie se déroule en écriture synchrone, favorisent les pratiques citoyennes. En effet, les élèves échangent et s’entraident en présence et à distance. Comme toujours en matière d’activité ludique, la sur-motivation des élèves qui facilite un investissement important de leur part, est ici augmentée par l’interaction entre les deux classes . La curiosité naturelle des adolescents pour leurs pairs d’autres établissements est un puissant moteur d’engagement dans la tâche. A noter également que plusieurs temps d’évaluation par les pairs sont proposés par le biais du jeu numérique ou de l’écriture collaborative. De plus, c’est l’occasion, assez rare, de travailler en classe sur les règles de civilité en ligne.
Le numérique est également un outil de différenciation. Par exemple, lors de l’analyse du corpus documentaire sur Padlet, l’enseignant peut accompagner davantage les élèves en difficulté dans l’acquisition de connaissances mais aussi de méthodes tandis que les autres membres du groupe classe travaillent en autonomie sur un support numérique.

Les problèmes matériels
Le principal problème que nous ayons rencontré est avant tout un problème matériel. Le mauvais fonctionnement, ce jour là, du réseau du lycée Malherbe a fortement perturbé le fonctionnement du jeu. Difficultés de communication entre élèves, insuffisante réactivité des actions menées à l’écran voire coupure complète de l’accès internet à certains moments… Pour une séance de ce type, c’est rédhibitoire.

Les problèmes d’organisation
Nous avons organisé cette séance un peu dans l’urgence et en fin d’année. Il a été impossible de trouver un créneau horaire commun et les élèves de Pont Audemer sont venus un mercredi de 8h à 10h sur leur temps libre tandis que les Caennais étaient sur un horaire de cours. Ce qui était obligatoire pour les uns ne pouvaient être que facultatif pour les autres. Cela a provoqué un déséquilibre entre les deux classes et donc entre les équipes, en nombre et en effectif.
Le deuxième problème est qu’en raison de la mise au point tardive de cette activité nous n’avons pas pu prévoir une progression suffisamment importante, notamment ce qui concerne la prise en main des Google maps qui sont l’outil qui a posé le plus problème. Or, de petites difficultés techniques ont ralenti l’entrée dans les jeux deux et trois. Même si ces difficultés ont pu être résolues elles ont nui au dynamisme nécessaire à l’activité.

Les problèmes liés au jeu
Le principal écueil que nous ayons repéré est, notamment pour les jeux deux et trois, une difficulté pour les élèves à comprendre les consignes. Cette difficulté n’est pas tant liée à une complexité excessive de ces deux jeux, plutôt simples au final, qu’à une insuffisante maîtrise par les élèves des manipulations de base de l’outil cartographique de Google qui servait de support au jeu. Ces manipulations ne sont pas très compliquées mais nécessitent un petit temps d’entraînement que nous n’avons pas organisé. Du même coup, les consignes, claires si on connait le fonctionnement de base de Google maps, sont apparues complexes pour certaines équipes qui ont eu du mal à comprendre ce qui était attendu d’elles.

Des pistes d’amélioration
Difficile pour l’enseignant de prendre des mesures, pour améliorer le fonctionnement du réseau d’établissement. Néanmoins une évolution pédagogique du dispositif pourrait permettre, peut être, d’améliorer un peu la situation y compris sur le plan technique.
Plusieurs difficultés du jeu en effet ont été provoquées par un effectif très important, 35 élèves, côté Caen. Une solution envisagée pour améliorer le dispositif l’an prochain serait de le mettre en place dans le cadre de l’Accompagnement Personnalisé en demi-groupes.
Cette nouvelle organisation aurait plusieurs avantages. D’abord l’effectif à gérer durant la phase de jeu serait réduit de moitié. Cela est loin d’être négligeable, tant il est impossible de répondre rapidement aux sollicitations des élèves en cours de jeu lorsqu’ils sont trop nombreux. Et plus ils restent longtemps bloqués, plus ils se démobilisent. En investissant le temps de l’Accompagnement Personnalisé, il devient possible, de créer un module de cartographie numérique qui en quelques séances peut permettre aux élèves de prendre en main de manière efficace les outils de base de la cartographie numérique et notamment (mais pas exclusivement) les outils Google utilisés durant le jeu.
Ce serait d’ailleurs l’occasion de tester les jeux sur d’autres situations afin que les élèves en maîtrisent d’emblée les règles et les objectifs et puissent jouer dès la connexion.
Sur le plan de la citoyenneté et de la civilité, nous avons constaté que certains élèves avaient, parce qu’ils communiquaient via internet, un comportement pas toujours très respectueux des autres, assez proche finalement de ce qui s’observe parfois sur les réseaux sociaux. Il nous semble intéressant de lier cette dimension-là au jeu en lui-même. Comment s’adresser de manière respectueuse à ses interlocuteurs en ligne… Voilà une problématique qui peut permettre de lier géographie, numérique et EMC. D’ailleurs le corollaire de cette question pourrait bien être de compléter le jeu en ligne par une rencontre entre les deux classes, par exemple sur les lieux de l’objet d’étude, à Honfleur, afin d’y travailler ensemble sur le terrain et même y tester la version d’origine de Littoral, un jeu de négociation en vraie grandeur sur l’aménagement des littoraux.
Enfin, last but not least, la réduction du nombre d’élèves diminuerait le nombre des équipes et donc minimiserait le nombre d’accès réseau en simultané ce qui pourrait, peut être, améliorer la situation technique.
C’est en tous cas, ce que nous mettrons en place l’an prochain car loin d’avoir été vaincus par les difficultés et le succès mitigé de cette première tentative nous avons au contraire été séduits par les potentialités de cette proposition didactique et pédagogique.
D’ailleurs, les élèves interrogés après le jeu n’ont pas fait preuve d’une grande sévérité et s’ils ont déploré de manière unanime les problèmes techniques ils ont aussi largement indiqué leur intérêt pour cette forme de travail. Cela tombe bien, nous avons l’intention de récidiver !

Scénario pédagogique adapté pour 2017-2018

Séance 1 : Etude de cas sur Honfleur Normandy Outlet, un Village des Marques au pied du Pont de Normandie
Horaire évalué de la séance : 2 heures
Problématique : En quoi le projet de Village des Marques Honfleur Normandy Outlet démontre-t-il que les littoraux sont des espaces attractifs et convoités par différents acteurs ?
Objectifs de la séance : Comprendre à partir de l’exemple de Honfleur Normandy Outlet les facteurs d’attractivité du littoral ainsi les impacts d’un programme d’aménagement intégré et durable sur le territoire.

Dans un premier temps, chaque classe travaille séparément. Les élèves, constitués en binômes, travaillent en autonomie. Ils consultent un Padlet sur lequel figurent les consignes à suivre mais également les documents à analyser.

Fait avec Padlet

L’enseignant circule entre les groupes pour vérifier la bonne compréhension des exercices comme des documents proposés. Les ressources à disposition sont variées. Elles présentent le futur Village des Marques mais aussi les arguments des partisans comme des opposants à ce projet. Les enseignants ont sélectionné des documents issus de la presse régionale (papier, pure player et vidéo), de la presse spécialisée, des pages à vocation commerciale ou encore des documents institutionnels.
Pour les guider dans leur analyse, les élèves disposent d’un modèle de carte mentale qui est proposé sur ce même Padlet. Chaque groupe peut ainsi reproduire et compléter la carte mentale sur une feuille au format A3. Une correction collective au tableau permet à chaque classe de construire ensemble une version numérique de la carte mentale avec l’outil Framindmap et obtenir ainsi une synthèse du projet.

Dans un deuxième temps, les binômes utilisent la carte mentale ainsi que les SIG Edugéo via éduthèque et Carmen pour expliquer la logique d’implantation du Village des Marques sous la forme d’une production graphique. Une base de schéma leur est proposée sur Padlet en guise de fond de carte qu’ils doivent reproduire sur une copie.

Version corrigée du schéma

Enfin, s’il reste du temps en classe ou à la maison, les élèves préparent des questions et leurs réponses sur l’étude de cas afin de préparer la deuxième séance.

Séance 2 : Adaptation numérique du jeu Littoral, un temps de « coopétition » à distance
Horaire évalué de la séance : 2 heures
Problématique : De quels enjeux et de quels jeux d’acteurs le littoral normand est-il l’objet ?
Objectifs de la séance : Démontrer que le littoral normand est une façade maritime plurifonctionnelle où se concentrent différentes activités à la fois concurrentes et interdépendantes.

Durant cette séance, les élèves, constitués en équipes, utilisent des outils Google et Framasoft pour jouer à distance. Un compte Google a été créé pour regrouper tous les documents nécessaires (règle du jeu, plateau, liste des équipes, feuille de calcul des points). Les enseignants s’envoient des messages privés sur Twitter pour réguler l’avancement du jeu. Celui-ci se déroule en trois temps.
Pour le jeu n°1, les élèves s’organisent en équipes de lycée : une équipe de Caen contre une équipe de Pont-Audemer. Il s’agit d’un jeu rapide (15 minutes) de questions-réponses sur la base des documents précédemment étudiés lors de l’étude de cas. Sur un google doc, la première équipe pose une question par écrit et la seconde a une minute pour répondre. Pour être valide, la question doit appeler une réponse indiscutable et factuelle. En cas de litige, c’est le professeur des élèves qui ont posé la question qui tranche. Si l’équipe interrogée peut répondre, elle marque un point, prend la main et pose à son tour une question. Sinon, la première équipe marque un point et garde la main. Cette première phase permet aux élèves de faire connaissance mais aussi de faire le point sur les principales règles de civilité ainsi que le droit des personnes lors des interactions en ligne.
Le jeu n°2 s’organise en équipes interlycées : une équipe de Caen s’associe à une équipe de Pont-Audemer. Il se déroule sur une carte Google Maps centrée sur le littoral normand sur laquelle est déjà placée une trentaine de repères. A l’aide d’une liste prédéfinie, il faut identifier les différents types d’espaces repérés. Pour cela, chaque équipe dispose d’un calque. Les réponses sont inscrites sous la forme de repères personnalisés à l’intérieur desquels il faut nommer le lieu, indiquer de quel type d’espace il s’agit et y insérer une photo du lieu avec sa source. Un maximum de repères doit être identifié dans le temps imparti (environ 30 minutes). Les élèves des deux établissements partagent leurs connaissances, issues en partie de leurs espaces vécus, pour identifier les principaux types d’espaces et activités présents sur le littoral normand. Ils utilisent un Framapad, outil d’écriture collaborative, pour échanger et définir une stratégie.
Enfin, dans le jeu n°3, chaque équipe mixte dispose d’un plateau de jeu qui est, une nouvelle fois, une carte Google Maps. En utilisant l’outil “ligne”, les élèves représentent par un polygone l’espace concerné par la construction du Village des Marques Honfleur Normandy Outlet. Puis, ils écrivent dans le descriptif du polygone un texte justifiant leur choix de localisation. Dans un deuxième temps, chaque équipe doit imaginer, localiser sur la carte et justifier dans le descriptif une autre localisation, ailleurs qu’à Honfleur, pour ce Village des Marques. Le Framapad est de nouveau utilisé par l’équipe pour échanger.

Plateau du jeu n°2 sur Google Maps

Si les deux établissements disposent d’une connexion suffisante, cette deuxième séance peut se conclure par une visioconférence à l’aide de l’outil Framatalk. Ce temps de reprise commun permet d’identifier les différentes activités présentes sur le littoral normand, de questionner les logiques d’implantation et de déterminer les relations de concurrence et d’interdépendance qui s’établissent. Il s’agit donc de montrer que le littoral normand est une façade plurifonctionnelle regroupant à la fois des activités industrialo-portuaires, agricoles touristiques, des espaces naturels protégés et d’autres densément urbanisés, dans une logique de gestion intégrée et durable.

Séance 3 : Mise en perspective
Horaire évalué de la séance : 3 heures
Problématique : Pourquoi peut-on dire que les littoraux sont des espaces attractifs qui nécessitent de concilier à la fois développement et développement durable ?
Objectifs de la séance : Montrer les enjeux liés aux littoraux à l’échelle mondiale et Maîtriser la méthode de la composition

Tout d’abord, chaque enseignant reprend séparément les activités des deux séances précédentes pour une mise en perspective à l’échelle mondiale en utilisant le manuel.
Ensuite, les élèves s’organisent de nouveau en équipes mixtes. Ils mobilisent les informations des séances précédentes pour rédiger une composition « collaborative » via Framapad sur le sujet « Les littoraux, des espaces convoités ».
A cet effet, une grille d’évaluation est préalablement distribuée. Elle sert aussi de support dans le cadre d’une évaluation par les pairs.